« Mon rêve, c’est qu’un jour mon fils puisse choisir sa vie… ». Les jeunes, en 2012, sont-ils à ce point désabusés qu’ils reportent leurs espoirs sur la génération suivante ? Les chiffres sont là : 22% des jeunes de 16 à 24 ans vivent (seuls ou dans une famille) avec un revenu situé sous le seuil de pauvreté. 65% des jeunes sont convaincus qu’ils ne vivront pas mieux que leurs parents, ce qui est une première dans l’histoire de l’humanité !
Point de vue sur cette thématique brûlante avec Isabelle Franck, chargée d’études à Vivre Ensemble.
Juste Terre ! : Pourrait-on dresser le portrait type du jeune confronté à la pauvreté ?
Isabelle Franck : Non, il y a plusieurs façons, pour un jeune, d’être confronté à la pauvreté. C’est Yasmina qui vit depuis toujours dans une cité sociale qu’elle ne quitte que rarement ; c’est Thomas qui cache comme il peut à l’école les fins de mois difficiles pour sa mère et lui ; c’est Laetitia qui a eu un enfant à 17 ans, qui a abandonné l’école et vit en maison maternelle… Qu’elle soit visible ou que le jeune parvienne à la cacher, la pauvreté est d’autant plus lourde à porter que l’incitation à la consommation est omniprésente dans le monde des jeunes - comme dans celui des adultes, d’ailleurs.
JT ! : A quoi est due cette pauvreté ?
IF : Pour aller vers l’autonomie, un jeune a besoin de plusieurs choses. Une famille qui lui apporte l’éducation et la sécurité matérielle, un réseau amical et social positif, une scolarité réussie et, surtout, de la confiance en soi. Quand un ou plusieurs de ces éléments font défaut, l’entrée du jeune dans la vie adulte sera difficile. A Bruxelles, par exemple, un tiers des jeunes grandissent dans une famille qui n’a pas de revenus provenant du travail ! Ces jeunes sont souvent orientés, pour ne pas dire relégués, vers des filières scolaires mal considérées comme l’enseignement professionnel. Et là, c’est la confiance en soi qui s’évapore peu à peu. Plus d’un jeune entre 18 et 24 ans sur dix n’a pas dépassé le niveau secondaire inférieur !
JT ! : Dans votre travail de recherche sur la pauvreté et les jeunes en Belgique, qu’est-ce qui vous a frappée ?
IF : Le fait qu’à côté de la pauvreté à laquelle on s’attend, celle des jeunes issus de milieux défavorisés, dont les parents vivent depuis longtemps dans la pauvreté, il existe aussi une pauvreté des jeunes issus de la classe moyenne, qui ont un diplôme parfois élevé, mais qui « rament » pour trouver un emploi stable leur permettant de faire des projets. A Bruxelles et en Wallonie, près du tiers des moins de 25 ans sur le marché de l’emploi est au chômage ! Certes, on n’est pas au niveau de l’Espagne où plus de la moitié des jeunes sont demandeurs d’emploi, mais les conséquences de la crise financière et économique commencent à peine à se faire sentir chez nous.
JT ! : Est-ce une génération en panne d’avenir ?
IF : Ce qui pose question, en effet, dans cette génération qu’on appelle parfois aussi la « génération 1000 euros », c’est l’absence de projets. Pas parce que ces jeunes adultes seraient blasés ou paresseux mais parce qu’ils alternent des périodes de chômage, des intérims, des stages, des emplois précaires, du volontariat… et qu’ils ne voient aucune perspective d’évolution. sans un em-ploi stable, on ne peut pas acheter une maison, ni même une voiture, on a peur de fonder une famille… Il y a vingt ans, un jeune mettait, en moyenne, deux ans pour dé-crocher un emploi stable. Aujourd’hui, il met entre cinq à dix ans. Ceux qui le peuvent restent à charge de leurs parents. Pour les autres, le risque de tomber dans une pauvreté durable est bien réel.
JT ! : Comment les différentes initiatives sou-tenues par Vivre Ensemble parviennent-elles à répondre à ce défi d’insertion des jeunes ?
IF : En travaillant sur les différents besoins des jeunes, qu’on pourrait regrouper en quatre domaines. Ceux qui sont en décrochage - familial, scolaire ou social, l’un entraînant souvent l’autre -, ont avant tout besoin d’accompagnement, de quelqu’un sur qui compter. Ensuite, les jeunes ont besoin de se former pour être en mesure de trouver un emploi. Il faut aussi leur donner des outils pour qu’ils deviennent des citoyens qui comprennent la société dans laquelle ils vivent, qu’ils puissent y agir et y trouver leur place. Enfin, les associations sont souvent les seuls lieux où les jeunes en difficulté peuvent s’ouvrir à d’autres horizons. Cela peut passer par de l’ex-pression artistique - théâtre, slam... - ou par un voyage, notamment. Ce sont de vrais ballons d’oxygène pour des jeunes empêtrés dans des situations très difficiles.
JT ! : Voyez-vous des signes d’espoir pour cette jeunesse, malgré la crise que nous connais-sons ? Certains parlent de génération perdue, ou sacrifiée…
IF : C’est vrai que l’avenir est plein d’incertitudes, plus que jamais peut-être. Plutôt que de chercher des signes d’espoir pour les jeunes, je dirais que les jeunes sont ces signes d’espoir. Car un jeune, même quand il est très loin dans le décrochage et l’exclusion, peut faire preuve de volonté, d’énergie, de créativité, de solidarité… à condition qu’il puisse compter sur des adultes bienveillants - j’insiste sur l’importance de ce regard des adultes - qui lui font confiance et lui donnent les moyens de mettre ses compétences et ses capacités en valeur. on voit alors des jeunes qui font des projets, qui se mettent au service des autres, qui se remettent à avancer alors qu’ils semblaient bloqués.
Propos recueillis par
François Letocart