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PAUVRETE

No future pour les jeunes bruxellois ?

Bruxelles : une ville en plein boom démographique, mais où les jeunes sont particulièrement touchés par la pauvreté et le chômage. Il ne fait pas bon avoir 20 ans en 2012 dans la capitale européenne.

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Quelques chiffres pour saisir la situation :
- fin 2011, la Région bruxelloise comptait 1 142 000 habitants.
- au cours des sept dernières années, sa population a augmenté de 126 000 personnes, soit une hausse de 12,5 % (en comparaison, la progression est de 5,5 % pour tout le pays).
- dès 2015, le cap du 1,2 million d’habitants sera atteint [1]. Selon le démographe André Lambert, Bruxelles connaît une expansion digne d’une ville-Etat comme Singapour.

Le boom démographique se marque surtout dans les quartiers populaires, précarisés et plus jeunes. Or, nous savons que des trois régions de Belgique, c’est déjà la Région de Bruxelles-Capitale qui est la plus gangrenée par la pauvreté [2] ! Celle-ci risque donc, à l’avenir, de s’étendre inexorablement.

Deux plaies sociales sont à la racine de cette précarisation massive : le faible niveau de formation et le très préoccupant taux de chômage des jeunes.

JEUNES BRUXELLOIS : UNE SITUATION ALARMANTE

Sur les 101 310 jeunes de 18-24 ans, 18 % entament leur « vie active » avec un revenu de remplacement (allocation de chômage, pour handicapés, revenu d’intégration sociale ou équivalent...) [3] . C’est dans les tranches d’âge plus jeunes que la part des bénéficiaires du R.I.S. (ou son équivalent) est la plus importante : 8,6% des 18–19 ans, 7,2 % des 20–24 ans [4].

Et la pauvreté se fait plus violente dans certaines zones de la Capitale : le bas de Saint-Gilles, de Saint-Josse et de Schaerbeek, à Molenbeek, Cureghem et dans les Marolles. La proportion de ménages vivant d’une allocation du CPAS y est jusqu’à cinq fois plus élevée que dans le reste de la région [5] .

Rappelons à ce propos que la plupart des montants des indemnités de remplacement reste inférieure au seuil du risque de pauvreté. Une étude, publiée en mai 2012 par l’Unicef, confirme qu’en Belgique, les jeunes générations sont désormais davantage exposées à l’exclusion sociale que les adultes et les seniors [6].

Deux plaies sociales sont à la racine de cette précarisation massive : le faible niveau de formation et le très préoccupant taux de chômage des jeunes.

Le système scolaire dysfonctionne profondément à Bruxelles. La proportion des jeunes de 18 à 24 ans ne suivant plus d’enseignement et ayant au maximum un diplôme du secondaire inférieur était de 18,9 % en 2011 [7]. Elle est plus élevée à Bruxelles que dans le reste du pays. Un jeune bruxellois sur cinq, une jeune bruxelloise sur six quittent l’école prématurément. Précision supplémentaire : 35,8 % des 18-24 ans ressortissants d’un pays non européen ont décroché au maximum un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur et ne sont plus scolarisés (par rapport aux 22,3 % des jeunes de l’Europe des 27).

Ces constats accablants sur le plan scolaire se répercutent évidemment sur la problématique de l’emploi, dans une ville multiculturelle où on dénombre 96 langues parlées, ce qui ne facilite guère la recherche de solutions !

Le manque de formation des jeunes travailleurs représente un problème majeur dans la Capitale de l’Europe.

CHÔMAGE

En 2011, le taux de chômage des jeunes bruxellois est en moyenne de 31,2 % [8]. De plus, il existe de grandes disparités sur le territoire des dix-neuf communes : le taux de chômage varie de 20,6 % à Woluwé-Saint-Pierre à 38,6 % à Molenbeek-St-Jean. Signalons encore qu’un quart des enfants bruxellois vivait en 2011 dans un ménage sans revenu du travail, soit deux fois plus que dans l’ensemble de la Belgique.

Bref, la jeune génération est frappée de plein fouet par la crise de l’emploi. Même les plus diplômés le sont. En effet, plus d’un jeune belge sur cinq en possession d’un diplôme de l’enseignement supérieur se retrouve sans emploi, contre une personne sur vingt dans la tranche d’âge des 25 - 49 ans. Chez les jeunes et à l’inverse du monde adulte, un bon niveau de formation n’apparaît plus comme un rempart suffisant contre le chômage [9].

Un phénomène spécifique à Bruxelles aggrave de fait la situation du marché de l’emploi : plus d’un emploi sur deux est occupé par un non-bruxellois, selon les chiffres de l’Observatoire bruxellois de l’emploi (année 2012).

Cela s’explique aisément : la majorité des emplois concerne des travailleurs ayant un diplôme d’études supérieures ou universitaires (la part de ces emplois est de 37 % dans les deux autres régions). Comme la ville compte un grand nombre de personnes peu qualifiées, ces postes de travail de haut niveau sont majoritairement occupés par les 370 000 « navetteurs » flamands et wallons ou par des étrangers expatriés.

Le manque de formation des jeunes travailleurs représente un problème majeur dans la Capitale de l’Europe où on cherche à engager des tri- ou quadrilingues [10] !

DUR DUR D’ÊTRE JEUNE EN 2012

Le désarroi d’une frange importante de la jeunesse est renforcé par le contexte socioculturel global que décrit le sociologue Guy Bajoit [11]. Il insiste sur la plus grande difficulté d’être jeune aujourd’hui que dans les années 70-80.

En effet, deux changements générateurs d’incertitude sont apparus. Tous les jeunes sont à la fois confrontés à une société qui, d’une part, fait rêver et fixe très haut la barre des attentes (avoir un projet personnel, épanouissant et réaliste...) et qui, d’autre part, répartit très inégalement les moyens de réaliser ces rêves.

La société actuelle a adopté un modèle économique néolibéral qui survalorise la compétition (il faut être un gagnant...), la consommation (pour être quelqu’un, il faut acheter, posséder...) et la communication (il faut être dans le coup...). Ce système ne peut qu’exclure, éliminer et humilier tous ceux – de plus en plus nombreux – qui n’ont pas les ressources matérielles, culturelles et familiales pour y arriver. Comment ne pas comprendre la désespérance de nombre de jeunes, placés devant cette contradiction fondamentale ?

Face à cette violence sociale latente - qui peut exploser à tout moment sous l’effet d’événements fortuits -, les milliers d’acteurs sociaux publics et associatifs ne laissent pas tomber les bras, mais doivent parer au plus pressé.

LE VOLONTARISME ASSOCIATIF ET SES LIMITES

Une impressionnante constellation d’associations bruxelloises, de moyenne ou de petite taille, subventionnées à des degrés divers par la Région ou la Fédération Wallonie-Bruxelles, tente de reconstruire les acquis de base des personnes exclues et de faciliter ainsi leur accession à des formations qualifiantes et finalement à l’emploi.

On pense, d’une manière non exhaustive, à la centaine de groupes dans la mouvance de « Lire et Ecrire », à la trentaine d’organismes d’insertion socioprofessionnelle (1,6 million d’heures de formation dispensées à plus de 4000 personnes infraqualifiées), à la trentaine d’écoles de devoirs, à la dizaine d’Ateliers de formation par le travail (AFT), aux Centres d’éducation et de formation en alternance (CEFA), aux missions locales pour l’emploi créées par les communes ; toutes ces entités sociales étant le plus souvent organisées en réseaux et en lien avec les deux opérateurs publics régionaux, Actiris et Bruxelles-Formation. Sans parler de centaines d’autres associations agissant dans les domaines de l’aide aux personnes et de la santé.

Illustrons leurs actions déterminées et multiformes par deux initiatives locales : « L’Amorce » à Laeken et « l’UFLED » à Cureghem, Anderlecht.

RESSOURCES ET FRAGILITÉS

L’Amorce », créée en 2006, est subventionnée comme « projet pilote de prévention et d’aide à la jeunesse ». Cette association accompagne individuellement des jeunes de 6 à 18 ans (et parfois même jusqu’à 23 ans), en rupture avec leur école ou/et avec leur famille.

Un de ses animateurs, Miguel Castillo, témoigne de leur état d’esprit : « Ces jeunes qui ont une mauvaise image d’eux-mêmes, s’enferment dans leur quartier. Ils ont peur d’en sortir ; ils n’iraient, par exemple, jamais seuls rue Neuve, mais bien en bande... ! Des ghettos sur une base communautaire se sont développés : les gens de l’Est, les Russes, les Maghrébins ont leurs quartiers. Nous nous rendons compte que ces jeunes ont des ressources, mais la précarité de leurs conditions de vie engendre une grande fragilité mentale, qui les désavantage évidemment sur le marché de l’emploi ! »

L’équipe de L’Amorce, qui comprend seulement deux travailleurs sous statut ACS et quelques bénévoles, assure une permanence de rue à Laeken, permettant de gérer les tensions entre les jeunes, leurs bandes, les adultes et la police.

Des projets collectifs sont élaborés par les jeunes eux-mêmes, tels que l’organisation de camps de vacances, la constitution d’équipes de foot, ainsi que la participation aux actions communautaires du quartier (exemple : la « fête de la soupe »), qui sont l’occasion de rencontres entre milieux sociaux et culturels différents.

Une école de devoirs – pour laquelle les demandes d’inscription explosent - complète le dispositif d’intervention d’Amorce, qui tente, mais pour l’instant sans succès, d’être reconnue comme AMO (Action en milieu ouvert).

VAINCRE LA FRACTURE NUMÉRIQUE

L’UFLED (Union des femmes libres pour l’égalité), fondée en 2004, a pour but l’émancipation des femmes du quartier délaissé de Cureghem, près de la gare du Midi.

L’association a mis sur pied un groupe d’alphabétisation et d’apprentissage de la langue française et offre une série d’aides aux démarches pour décrocher un emploi (rédaction d’un curriculum vitae, d’une lettre de motivation, exercice de préparation aux interviews d’embauche, etc...).

Dans le même esprit, elle vient de concevoir un projet d’initiation à l’informatique, afin de donner la possibilité à des jeunes femmes de 16 à 25 ans de vaincre la fracture numérique. Cette compétence technique s’avère nécessaire dans leurs futurs jobs.

Les nombreux animateurs de ces initiatives locales accomplissent leur exigeante mission de réinsertion sociale dans la discrétion et souvent dans des conditions précaires. Ils sont très motivés, mais manquent de moyens sérieux pour offrir une nouvelle chance à tant de personnes sans formation et sans aucune confiance en elles.

Dans certains quartiers défavorisés de la Capitale, c’est quasi dans chaque rue qu’il faudrait susciter la présence de telles asbl.

Mais trop souvent, le monde associatif est acculé, avec les CPAS, à réparer d’abord les dégâts humains dus aux dysfonctionne-ments scolaires et économiques.

RÔLE INCONTOURNABLE DES POUVOIRS PUBLICS

Le monde associatif subventionné mène certes de multiples actions de prévention et d’éducation. Mais trop souvent, il est acculé, avec les CPAS, à réparer d’abord les dégâts humains dus aux dysfonctionnements scolaires et économiques. C’est évidemment en amont et au niveau des politiques fédérales, régionales et même européennes que des mesures structurelles doivent être prises, dans les domaines de l’enseignement et de l’emploi, sources principales de précarisation et d’exclusion.

A côté de ces interpellations de base, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté a élaboré deux reven-dications majeures de nature à améliorer les conditions d’existence des jeunes : l’individualisation des droits sociaux et un accompagnement de qualité pour les jeunes adultes de 18 à 25 ans [12].

La demande d’individualisation des droits pour tous devrait être d’application en priorité pour la classe d’âge des 18 – 25 ans, afin de donner une chance égale à chaque jeune de s’insérer personnellement dans l’existence, sans que le logement ne constitue un premier obstacle infranchissable, a fortiori à Bruxelles où trouver un toit est souvent une gageure. Car le taux cohabitant les pénalise de diverses manières.

La seconde revendication vise à assurer un accompagnement adapté pour les jeunes adultes accédant à la majorité. En effet, dans le cadre de la mise en autonomie des jeunes (de 16–18 ans, et parfois jusqu’à 20 ans), accompagnés par un service d’aide à la jeunesse, l’allocation octroyée est inférieure au RIS et donc au seuil de pauvreté. L’insuffisance de ressources des jeunes, à un moment crucial de leur évolution, peut les conduire à la débrouille et à l’errance !
Le RWLP demande que l’on augmente l’aide accordée, via soit une intervention directe et unique de l’Aide à la Jeunesse, soit un accord entre l’Aide à la Jeunesse et le CPAS ; ces deux acteurs publics étant régulièrement en conflit pour la prise en charge de ces jeunes à la croisée des chemins !

Le Réseau s’insurge bien entendu également contre la réforme des allocations de chômage entrée en vigueur le 1er novembre 2012. Celle-ci touche les jeunes qui n’ont pas encore travaillé, puisque la période sans aucune allocation (stage d’insertion) passe de 9 à 12 mois. Quant à l’allocation d’insertion (anciennement allocation d’attente), elle est limitée à trois ans.

CONCLUSION

Le mal-être des jeunes, on l’a vu, est profond. Il est inquiétant, tant pour leur avenir que pour l’ensemble de la société. La situation est particulièrement grave dans la capitale, mais elle l’est aussi en Wallonie et en Flandre, de même que dans plusieurs pays de l’Union européenne. Le taux de chômage des moins de 25 ans s’élevait, en février 2012, à plus de 50 % en Espagne et en Grèce, à 35 % au Portugal, à près de 32 % en Italie [13].

Il est urgent d’élaborer et de mettre en place des solutions globales et durables. Le mouvement des « Jeunes Indignés » d’Espagne et d’ailleurs nous le rappelle encore d’une manière largement non violente. Mais si des perspectives d’avenir plus stimulantes ne s’offrent pas rapidement à toute cette génération européenne sacrifiée, c’est la colère et la violence du désespoir qui prévaudront !

Luc Uytdenbroeck



[1Le Soir, 17/8/2011

[2Voir « Santé et pauvreté à Bruxelles : la face cachée de la capitale », Vivre Ensemble, 2008, sur www.vivre-ensemble.be

[3Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale (2012), Baromètre social 2012, Bruxelles. (COCOM)

[4Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale (2008), Baromètre social 2008, Brux.

[5Le Soir, 12/10/2010

[6Le soir, 23/5/2012

[7Observatoire de la Santé et du Social (2012). Baromètre social 2012, Bruxelles (COCOM)

[8idem

[9La situation des jeunes en Belgique francophone », IWEPS, 2010

[10Le Soir, 12/4/2012

[11« Qu’est-ce que tu vas faire quand tu seras grand ? », RTBF Opinions ? 1/6/2012

[12Journée mondiale de lutte contre la pauvreté, organisée par le R.W.L.P., 17/10/2011

[13Le Monde, 14/4/2012



Tags : Jeunes Pauvreté

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