L’Equipe Sociale de Leuze, l’Aumônerie de la prison et Vivre Ensemble ont collaboré pour mettre en place cette activité, soutenus par la direction du culturel ainsi que par la direction générale de la prison de Leuze.
Beaucoup d’inconnues pour cette activité novatrice et audacieuse… Enfin le jour -J !
Les personnes extérieures qui ont pu s’inscrire à temps, sont arrivées regroupées, suite aux inévitables et minutieux contrôles à l’entrée de la prison. Parmi ces quelques vingt personnes, des étudiants, des leuzois, des membres d’associations, des enseignants et deux organes de presse.
Elles s’installent sur les chaises qui sont toutes libres ; une légère tension pèse sur cette immense salle de sport de la prison. Les appréhensions qu’elles soient inavouées, petites et maladroites ou plus fortes, sont tout de même visibles sur les visages.
Voilà les trente détenus qui entrent dans leur salle de sport, par vagues successives, pour davantage de sécurité. Les mines sont parfois relativement méfiantes mais, pour la plupart, ouvertes et positives. Précisons qu’une liste d’attente a été mise en place, car le nombre de participants maximal était atteint. Ajoutons à ça que d’autres détenus n’ont pas pu accéder à l’inscription, en lien avec des précédents comportements. Les intentions et l’intérêt n’ont clairement pas manqué, face à cet échange qui change.
Les salutations et quelques présentations par-ci, par-là brisent la glace. En quelques minutes, les liens se créent, les mines s’ouvrent et l’ambiance se décontracte.
Deux détenus qui maitrisent moins la lecture du français forment des binômes avec des extérieurs, pour assurer une lecture à voix haute des nombreux sous-titres du film. Là encore, les barrières tombent, l’ambiance devient sereine et assez cool, pour découvrir ou redécouvrir tous ensemble ce film « Demain ». Agréable de constater que deux agents sont venus assister à la séance, de leur plein gré.
L’attention de tous est captée par la directrice et les organisateurs rappellent les objectifs de l’activité, le déroulement et présentent brièvement le film, en insistant sur le succès de « Demain ».
L’introduction du film est suivie de trois des cinq séquences et de la conclusion. Les parties de l’alimentation, de l’énergie et de la démocratie sont privilégiées, vu la longueur du film. En ce qui concerne l’économie et l’éducation, ce sera pour une autre fois :)
Une fois la projection terminée, les applaudissements et les sourires laissent présager un intérêt fort du public. Avant de passer au débat, un petit rappel des objectifs du film accentue la mobilisation de l’assemblée et les détenus sont aussi mis au courant qu’un mouvement de transition s’est très récemment créé à Leuze, des suites d’une précédente projection de ce film-documentaire.
Les réactions positives se multiplient, à propos de la qualité du film et de la pertinence de sensibiliser à ces enjeux. Rapidement, les projets émanent de ces personnes incarcérées qui détiennent un potentiel d’idées, de motivation et de militance sans pareil !
Dans un premier temps, plusieurs détenus s’accordent et insistent sur la mise à disposition du film aux autres personnes incarcérées dans la prison, pour faire tâche d’huile et conscientiser.
« Merci d’être venu montrer ce film dans la prison. Rien ne bouge ici et ça peut peut-être activer les détenus, les agents et les responsables de la prison. On veut faire un jardin partagé, sur les terrains autour de la prison, depuis un moment mais bon… Difficile de mettre ça en place, avec les conditions de sécurité et le peu d’heures de préau (heures « libres » de permission). » nous confiait un détenu au premier rang, représentant des détenus et moteur pour les activités sportives au sein de l’établissement. D’autres affirmaient qu’il faut maintenir, tous ensemble, une pression afin de réaliser les projets qui seraient envisagés.
Des petites choses très concrètes sont très vite mises en évidence. Loïc Ronsse qui a accepté que son nom apparaisse, aussi présent dans le reportage, admettait que « Beaucoup de détenus et d’agents ne trient pas bien les déchets, on peut mieux faire. On a des poubelles divisées en trois, pour le tri ! Il faut revoir l’organisation et des gestes simples sont possibles, en faisant un peu attention. Le gaspillage peut aussi être diminué, on est tous concernés par ça. »
Durant le débat, la parole est, bien entendu, cédée aux trois dames de Leuze en Transition qui sont présentes. L’occasion pour elles de présenter les initiatives locales qui se retrouvent dans ce mouvement : GAC, Repair Café, Giving Box, Coopérative Eoliennes, Redécouverte des sentiers oubliés, Jardins partagés, Tri des déchets dans les écoles, etc. etc. Plus d’infos sur le site de Leuze en transition.
Certains détenus étaient déjà conscients et adoptent une vision d’avenir, ils veulent faire leur part. Pour d’autres, c’était bouleversant et se sont découvert un potentiel de changement à leur niveau.
Première victoire en fin de débat, les deux directrices présentes lors de la séance sont interpellées par l’assemblée et annonceront que le film entier sera disponible gratuitement pour tous les détenus, via le Prison Cloud. Une belle promesse qui a déclenché une vague de cris de joie !
Au niveau de la direction, très soucieuse de la qualité de la vie et des projets dans leur établissement pénitencier, des formations en horticulture étaient déjà prévues. Interviewées après la séance, elles confirment que la diffusion du film « Demain » conforte l’idée de développer un projet durable. Et ce, pour les coins verts au sein de la prison et par ailleurs, pour les vastes terrains marécageux qui entourent l’établissement.
Les idées positives continuent de fuser : « Il y a des compétences techniques et manuelles parmi nous, il faut qu’elles soient mises à profit. » lance un détenu et un autre de surenchérir « Des locaux sont inutilisés dans les ailes de la prison, on voudrait les occuper de temps en temps pour bricoler. On pourrait réparer des petits électro-ménagers ou des objets pour la prison et pour l’extérieur aussi. Ça se fait dans d’autres prisons, on est partants ici. »
Une paire de détenus se sont intéressés aux monnaies locales, étaient déjà sensibilisés et désirent aller plus loin dans l’information. D’où la pertinence de leur mettre les autres séquences du film à disposition.
A partir de ce samedi, un lien s’est donc créé entre les détenus et le récent mouvement de Leuze en Transition. Voilà qui renforce les projets qui germent au sein et en dehors de la prison, tout en assurant un suivi collectif très prometteur.
Le temps convivial qui suivait le débat était une occasion unique d’entretenir des échanges entre citoyens et détenus, tout en dégustant une série de produits locaux, moins locaux et parfois concoctés par les visiteurs. D’ailleurs, des remarques ont réellement marqué les dames qui ont préparé des galettes, des gâteaux etc. Dans le sens où des détenus demandaient si elles avaient vraiment cuisiné ça pour cette rencontre, pour eux. Ils étaient surpris, émus et contents de voir qu’on s’occupe d’eux en prison. Les projets étaient au centre des discussions mais pas seulement… Les dialogues ont mis en avant les quotidiens dans nos vies de part et d’autre des murs, l’actualité en lien avec les thématiques abordées et tout ça en oubliant les concepts libres/détenus.
Certains détenus présents ont sacrifié d’autres « activités » pour venir assister à cette séance citoyenne. Voici ce que confiait un sexagénaire incarcéré : « Crois-moi mon frère, je suis musulman. Et le samedi, à 16h30, c’est mon temps de culte de la semaine, où je retrouve mes amis pour me recueillir et faire les ablutions. Je ne le manque jamais… Et aujourd’hui, je suis venu avec vous tous, ça vaut la peine et je ne le regrette pas du tout. »
L’émotion, la joie et l’ambiance conviviale étaient au rendez-vous. L’attitude positive et exemplaire des détenus, les mains qui se serrent longuement et le nombre de clins d’œil traduisent d’une reconnaissance profonde par rapport à cette activité menée en commun. « Sortir des frustrations, de la sécurité omniprésente et des tensions au quotidien, c’est important et surtout pour se pencher sur des questions importantes pour nos enfants. » exprime un jeune détenu.
Dans l’univers carcéral, les détenus peuvent vivre un décalage socioculturel grave et l’incarcération elle-même contribue souvent à augmenter les troubles de comportement. Nous estimons que des projets tels que celui-ci permettent de « repousser » les murs de la prison et de garantir une place de citoyen actif aux personnes incarcérées et ce, pendant mais surtout après leur période de détention.
C’était l’opportunité pour l’Equipe Sociale de Leuze de réaffirmer sa présence auprès des détenus, de montrer que les citoyens les regardent et ne les oublient pas. L’équipe, formée de nombreuses associations de terrain, se tient prête à répondre aux difficultés rencontrées et à organiser des événements pour faire vivre la prison dans Leuze. Maintenant, le tout est de rebondir sur cette ouverture créée pour garder un lien fort et encourager des futures activités en commun.
Une chose est sûre, les différences ont été surmontées et les liens aumônerie-détenus-leuzois-direction apparaissent véritablement comme étant consolidés !
Vous êtes intéressés par la thématique de la réinsertion et de la prison en général ? Vivre ensemble a publié une série d’analyses de qualité qui permettent d’aller plus loin dans la réflexion.