Tout détenu qui entre en prison sera un jour amené à en sortir. Il est dans l’intérêt de la société qu’il puisse se réinsérer.
Tout détenu qui entre en prison sera un jour amené à en sortir. Il est dans l’intérêt de la société qu’il ne récidive pas et qu’il puisse se réinsérer, notamment par le logement et l’emploi. Une telle réinsertion ne se fait pas du jour au lendemain. Elle doit être préparée et accompagnée. Préparée pendant la détention, accompagnée à la sortie. Et, pour éviter qu’il doive y avoir réinsertion, on devrait aussi se préoccuper de l’insertion des jeunes dans la société, avant qu’ils ne dérapent. Vaste programme.
« Jean Valjean était entré au bagne sanglotant et frémissant ; il en sortit impassible.
Il y était entré désespéré ; il en sortit sombre. »
Victor Hugo
À l’image de Jean Valjean, célèbre personnage des Misérables de Victor Hugo – continuellement poursuivi par son statut d’ancien forçat –, bien des libérés se voient coller une étiquette et conditionnés par leur passé. Aux murs de la prison succèdent souvent les cloisons des préjugés et de la peur. Ce serait mentir que d’affirmer que le mot prisonnier, même précédé du préfixe ex-, n’entraîne pas une certaine appréhension, quand ce n’est pas une animosité ouverte, y compris parfois dans le chef des (anciens) proches.
Outre les a priori, la réalité bassement matérielle fait vite barrage elle aussi et, dès le moment où les portes de la prison se referment derrière le libéré, d’autres portes lui claquent au nez, notamment celles d’une multitude d’emplois pour lesquels on exige un certificat de bonne vie et mœurs.
Marc Sluse, dit Marcus. (c) Sud-Presse Marc Sluse, dit Marcus. (c) Sud-Presse
La priorité est donc de trouver un travail, un logement, d’entreprendre les démarches administratives (CPAS, mutuelle, etc.)… Pas toujours évident, qui que l’on soit, et a fortiori quand on a été éloigné de la vie en société pendant plusieurs années. Ou que l’on n’a jamais été autonome, parce qu’on est passé directement de la chambre d’adolescent à la cellule. D’où la question : la prison prépare-t-elle le détenu à sa réinsertion ?
« Les détenus, quand ils sortent de prison, ils croient qu’ils ont un gros
paquet-cadeau, il y a marqué « liberté » dedans, et il est tout rose… Mais ce n’est pas ça, la liberté, c’est pas un paquet qu’on déballe… Maintenant, la liberté me fait un peu mal, à cause des contraintes qu’elle m’impose. Même encore maintenant, il m’arrive d’aller dans un grand magasin et d’y passer trois heures pour savoir ce que je vais acheter pour une semaine. Et puis surtout, surtout, il n’y a pas tellement longtemps, j’ai découvert ce qu’était la solitude en liberté, alors que j’ai été isolé, isolé, et que je croyais que j’étais blindé, que la solitude ne pouvait pas me faire peur. » (Jean-Marc Mahy, emprisonné à 17 ans et libéré 19 ans plus tard)
Il existe en Belgique différentes catégories de prisons : d’une part, les maisons d’arrêt, où sont enfermées des personnes qui n’ont pas encore été condamnées et qui sont détenues de manière préventive ; d’autre part, les maisons de peine où séjournent des détenus condamnés à une peine privative de liberté. « Cette différenciation est cependant devenue théorique, notamment en raison de la surpopulation permanente : de plus en plus d’établissements font office à la fois de maison d’arrêt et de maison de peine », observe le Cefoc (Centre de formation Cardijn).
Dans l’imaginaire collectif, on a parfois l’impression que les prisons belges sont des nids douillets, où le détenu dispose de nombreuses facilités (Internet, télévision…), le tout aux frais du contribuable ! La réalité est tout autre. D’une part, il est bon de préciser d’emblée que la plupart des commodités, telle la télévision, y sont payantes (alors qu’un prisonnier n’a pratiquement pas de revenu).
D’autre part, les conditions de détention sont loin d’être confortables, surtout en raison de la surpopulation des prisons. Par endroits, des détenus se retrouvent à trois confinés sur quelques mètres carrés, au point qu’« il y a des moments où tu as envie d’aller au cachot », raconte Marcus. « Pourtant c’est dur. Le cachot, c’est 9 m2 de béton, avec une paillasse de 21h jusqu’à 6h. La paillasse pue la pisse. Le seul meuble est le seau hygiénique… Mais parfois, c’est préférable, plutôt que de subir l’ambiance d’une cellule à trois, parce que c’est un moment où on sort de cette atmosphère étouffante. » Et de citer encore un exemple éloquent. Dans une cellule à trois, il y en a souvent un qui dort par terre, ce qui signifie que, parfois, « celui qui va pisser la nuit, il te pisse dessus ! »
Dans ces cellules de quelques mètres carrés, des personnes de tous horizons sont censées cohabiter, presque 24h/24h. Difficile de s’imaginer ce que peut être la vie, cloîtré à côté de codétenus mélomanes ou passionnés de télé, au point de la regarder jour et nuit au mépris du sommeil des voisins… Ou à côté de personnes aigries, violentes. Puis il y a les toxicomanes, les malades, ceux qui souffrent de troubles psychiatriques… Sans parler de la proximité avec des tueurs ou des violeurs.
« Les galères font le galérien. »
Victor Hugo
Ces conditions de détention sont régulièrement dénoncées. Outre la surpopulation, cela va de la vétusté des locaux aux agressions entre codétenus, en passant par des conditions hygiéniques déplorables, des produits de base surfacturés à la cantine, la grogne de certains gardiens… La prison, « c’est une poubelle où on vous jette comme un détritus qu’on n’a pas envie de recycler », sanctionne Marcus.
Ces observations « physiques » s’ajoutent à la dégradation psychologique de l’image du détenu, tant vis-à-vis de lui-même que d’autrui. « Dès ses premiers contacts avec la prison, la personne détenue est clairement mise en scène en tant qu’objet dans le traitement qu’elle subit. Cela va du dépouillement des objets personnels au déshabillage à l’entrée, sous le regard du préposé. L’identité de la personne détenue est réduite à des paramètres caractéristiques exprimés en numéros d’identification ».
Que peut apporter une telle exp
érience ? De bonnes fréquentations et des bases pour prendre un nouveau départ ? Avec de la chance et beaucoup de bonne volonté, qui sait… Mais plus probablement un sentiment de révolte, voire de désespoir, comme tend à le prouver le taux de suicide, beaucoup plus élevé en prison que dans la population en général.
Et pourtant, d’après la loi Dupont de 2005 : « L’exécution de la peine privative de liberté est axée sur la réparation du tort causé aux victimes par l’infraction, sur la réhabilitation du condamné et sur la préparation, de manière personnalisée, de sa réinsertion dans la société libre » (Art. 9, § 2).
C’est vrai, des initiatives sont mises en place pour préparer la réinsertion. Deux types d’enseignement sont proposés au sein des prisons : des formations professionnelles, dispensées la plupart du temps par des écoles de promotion sociale et permettant l’obtention d’un diplôme ou d’une attestation de réussite, ainsi que des formations non qualifiantes généralement prises en charge par des associations n’octroyant qu’un certificat de fréquentation des cours.
Les pratiques diffèrent fortement d’un établissement à l’autre, en fonction de l’administration pénitentiaire, des priorités de la direction et du personnel, ainsi que de l’architecture des bâtiments et bien entendu de la motivation des détenus.
Souvent, ceux-ci préfèrent exercer un emploi, qui peut prendre des formes diverses également : entretien de la prison, travail d’atelier au service d’entreprises privées ou production à destination de la régie pénitentiaire. Cet « emploi » permet rarement d’engranger des économies en vue de la libération. Le peu qui est gagné est vite dépensé pour accéder à certaines facilités telles que la télévision ou la cantine. De plus, les salaires des détenus sont maintenus à de très faibles niveaux car les gardiens verraient d’un mauvais œil le fait que des prisonniers puissent mettre de l’argent de côté, alors que leur maigre salaire ne le leur permet pratiquement pas (2 010 € bruts par mois après cinq années de service + quelques primes ).
De plus, dans certaines prisons, comme celle d’Andenne, il n’y a pas de travail pour tout le monde, et il faut parfois patienter plusieurs mois avant d’y accéder.
En outre, en vertu d’une Loi de principes datant de 2005, un plan de détention devrait être élaboré individuellement avec chaque condamné. Il « contient une esquisse du parcours de détention et, le cas échéant, des activités axées sur la réparation notamment du tort causé aux victimes. […]
Ce plan contient par ailleurs des propositions d’activités auxquelles le détenu participera, telles que : 1° le travail disponible ou à mettre à sa disposition dans le cadre de l’exécution de la peine ; 2° les programmes d’enseignement ou de formation, les activités de formation ou de recyclage et d’autres activités axées sur la réinsertion ; 3° les programmes d’encadrement psychosocial ou les programmes de traitement médical ou psychologique. » Ce plan, prévu par la loi, n’est à l’essai que dans quelques prisons jusqu’à présent.
Du reste, comment occuper son temps à lire ou à étudier à côté d’un codétenu qui écoute de la musique à fond ? Comment rester à l’écart de toute violence au milieu d’un tel entassement ? D’aucuns diront que les prisonniers n’ont que ce qu’ils méritent. C’est une opinion – tranchée mais fréquente – qui ne fait pas l’objet de cette analyse. Mais il n’en reste pas moins que la plupart de ces détenus sortiront un jour de prison. En sortiront-ils meilleurs ?
En prison, les détenus ont la possibilité de solliciter une assistance religieuse ou morale. Des visiteurs bénévoles se rendent également régulièrement dans les prisons pour rencontrer les détenus qui le souhaitent. Recevoir la visite de quelqu’un qui vous respecte, qui ne vous juge pas, qui est là pour écouter, échanger… c’est souvent précieux quand le quotidien est fait de violence et de détresse psychologique.
Des associations travaillent à l’intérieur des prisons, pour la formation professionnelle, l’alphabétisation, ou des activités artistiques. C’est le cas d’Art et Prison. Serge Thiry lui voue unereconnaissance énorme : tenir une guitare et apprendre à en jouer a été pour lui le début d’une transformation complète. En liberté conditionnelle depuis huit ans, il parcourt aujourd’hui les écoles et les associations. Armé de son instrument à cordes, il sensibilise les jeunes au thème de la prison et de la criminalité, mais aussi à celui de la différence, en organisant des activités avec des personnes handicapées.
Cet exemple laisse entrevoir les bienfaits que pourrait apporter la généralisation d’activités culturelles et artistiques avec les détenus. Loin d’être un luxe, elles peuvent être un outil de premier ordre pour aider à un changement de vie et à la préparation d’un « après » sans récidive. Or, ces activités restent marginales et ne sont pas toujours appréciées par les agents pénitentiaires parce qu’elles leur imposent un surcroît de travail.
Si l’on dresse un bilan du système pénitentiaire belge en fonction de la Loi Dupont citée plus haut, on ne peut qu’attribuer une note d’échec, étant donné les conditions de détention et – c’est peut-être le plus alarmant – le taux de récidive, qui concernerait plus de la moitié des détenus en Belgique. La Ligue des droits de l’homme observe que « la prison est en effet un facteur supplémentaire de désocialisation. Elle aggrave la marginalisation des détenus : les relations familiales ou autres sont difficilement maintenues, le détenu perd son logement faute de pouvoir payer son loyer, perd même son emploi. La prison elle-même peut donc constituer l’une des causes directes à l’origine de la récidive. »
Force est de constater que ce système n’est pas efficace en termes de prévention puisque la criminalité et la délinquance de diminuent pas. Il ne l’est pas davantage en matière de réinsertion, vu le nombre de récidivistes. Reste la sanction.
Se pose donc la question de la détention en tant que telle. De nombreux spécialistes s’accordent pour affirmer que la privation de liberté ne devrait être qu’une extrémité. « La prison doit rester l’ultime remède », déclare M. Louveaux, Président de l’Association syndicale des magistrats. « Que font les détenus en prison ? » questionne-t-il. « Ils attendent que le temps passe ! Ils perdent le sens de l’autonomie et de la responsabilité individuelle. Avec par-dessus tout, des conditions de vie déplorables et trop peu de moyens pour assurer une vraie réinsertion. »
Gérard De Coninck, criminologue et ex-directeur de prison, lui fait écho : « La prison doit être la peine ultime ; une peine juste, qui a du sens. Il n’en est rien. Par ailleurs, la prison est censée protéger la société, assurer la sanction du condamné, favoriser son amendement, permettre sa réinsertion. On est très loin du compte. » Il dénonce « la méconnaissance, le désintérêt, voire l’effrayante ignorance de la classe politique pour ces matières. »
En cela, il pointe du doigt une difficulté majeure : quel personnage politique – sans cesse en quête d’assentiment électoral – aurait donc le courage de prendre à bras-le-corps cette problématique profondément impopulaire, dans un contexte où le discours sécuritaire se durcit ? La réponse des décideurs successifs se borne pour l’instant à créer plus de places de prisons et à renforcer les contrôles à l’intérieur de celles-ci.
La sur-médiatisation des faits-divers les plus tragiques, de même que la crise économique et ses processus de culpabilisation et de compétition, sont quelques facteurs parmi d’autres qui provoquent la méfiance des foules et les conduisent aux amalgames. Mais, on le sait, il est des matières où les politiques sont réticents à contrarier la vox populi, si mal informée soit-elle.
L’on est toutefois en droit de se demander pourquoi ces mêmes personnes acceptent aveuglément la violence omniprésente tant dans les loisirs les plus abrutissants qu’au travers des programmes télévisés. Ou encore, pourquoi ces mêmes personnes ne s’interrogent pas sur le désarroi auquel sont confrontées des masses de plus en plus défavorisées par un système économique inique, ou discriminées par les discours populistes qui font tant d’émules actuellement ? Le lien est pourtant direct : les frustrations, les stéréotypes, les incompréhensions, les pertes de repères et de sens, les rivalités… sont autant de foyers qui alimentent les dérapages, entraînant parfois les personnes dans la spirale de la criminalité.
« « Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison. »
Victor Hugo
Avant même de parler de réinsertion, dans beaucoup de cas, il conviendrait donc de s’attarder simplement sur l’insertion. La délinquance n’est pas le fait du hasard ni de la fatalité. Quand elle ne provient pas d’un déséquilibre mental, elle découle souvent d’un décrochage (familial et/ou scolaire notamment), d’un manque de repères, d’une précarité matérielle, d’une dépendance (alcool, drogue), voire dans certains cas d’une recherche désespérée d’affirmation. Cela n’excuse certes pas la dérive, mais cela peut l’expliquer et aider à la prévenir.
Déterminer les raisons des chutes vers le délit est malaisé, car chaque cas a ses spécificités. Toutefois, l’Enquête sur la provenance sociale et le niveau scolaire des détenu(e)s en Belgique, de la Fafep, tire certaines conclusions éloquentes :
« Le détenu moyen en Communauté française est masculin dans 95% des cas, il est jeune (32 ans), d’une classe sociale peu favorisée et dans 50% des cas d’origine étrangère (si l’on remonte à la nationalité des parents), ce qui s’explique au moins autant par le racisme ambiant que par les caractéristiques socio-économiques de la population étrangère.
Le détenu n’a que dans 25% des cas son permis de conduire, il a peu de rêves d’avenir professionnel et se prétend souvent grand lecteur, ce que son niveau scolaire moyen ne confirme pas. En effet, la population détenue est gravement sous-scolarisée (les 3/4 n’ont aucun diplôme ou uniquement le CEB alors que nous ne sommes que 27,6% dans ce cas dans l’ensemble de la population) et les diplômés de la filière professionnelle ont un niveau réel inférieur à leur diplôme dans une très forte proportion.
C’est bien une frange particulière de la population qui va en prison. D’où cette impression lancinante, chez les travailleurs qui y travaillent, que leur action intervient bien tard dans un processus à l’œuvre déjà depuis l’enfance de leurs "clients". Et de lancer alors des idées, pas si naïves que cela. Par exemple : réduisons les inégalités et les injustices, nous réduirons aussi la délinquance. »
On l’aura compris : que ce soit en vue de la réinsertion de personnes libérées ou pour un changement des mentalités de manière générale, il est essentiel de remettre l’humain au centre, de recréer des liens, de tisser du relationnel. Cela peut passer par un attachement à des personnes ou simplement à des projets, parfois tout simples : la participation à une activité, un objectif sportif, l’implication dans une association, un groupe de parole, une pièce de théâtre…
Selon Marcus, la solution pour éviter la chute dans le délit est toute simple : « Aller vers la personne ! Dans chaque être humain, il y a quelque chose à valoriser. » C’est à chaque citoyen de prendre conscience qu’il est coresponsable de la prévention. « La responsabilité de chaque citoyen à être le garant du bien-être de notre société passe par l’attention aux plus exclus », souligne Christine Deltour, aumônière à la prison de Nivelles et fondatrice de l’association les Chemins de Traver-se (voir ci-après).
À l’écoute du parcours tortueux de bien des prisonniers, on peut se demander si, après avoir vécu tout ça, on ne serait pas soi-même à leur place. Quand bien même cela ne permettrait pas d’excuser la faute, ni bien sûr de la gommer, sans doute cela aiderait-il à comprendre, et surtout à progresser. Cette réflexion amène à écarter tout jugement péremptoire et à se poser pas mal de questions. Qu’y a-t-il sous l’étiquette (ex-)prisonnier ? Qui est donc cette personne ? Qu’est-ce qui a bien pu la mener là ? Comment peut-elle se reconstruire et renouer des liens ?
La réinsertion des anciens détenus n’est pas qu’une question éthique. Il s’agit aussi d’un nécessité sociale car, si la peine de prison a pour but de protéger la société, le moins que l’on puisse en attendre est qu’elle aide le prisonnier à ne pas rechuter. Enfin, si ni l’argument moral ni l’argument social ne sont entendus, peut-être l’économique fera-t-il mouche auprès des décideurs ? Éviter la récidive, c’est éviter des frais supplémentaires !
Quand personne n’attend un détenu libéré à la porte de la prison, quand la famille et les amis sont aux abonnés absents, ce sont souvent d’anciennes relations qui se renouent, ouvrant la porte à la récidive. Nombreuses sont les associations qui accompagnent les anciens détenus dans leurs premiers pas de citoyens libres.
Parmi celles-ci, on retrouve notamment des SAD (Services d’aides aux détenus) et des ASJ (Aides sociales aux justiciables). Citons aussi La Touline (Nivelles), Après (Bruxelles), Espace libre (Charleroi), parmi d’autres. Ces services sont plus qu’utiles, mais surchargés : trop peu de personnel pour trop de demandes. Il incombe aux décideurs d’en augmenter fortement les moyens et d’améliorer les liens entres les différentes structures de cette mosaïque institutionnelle.
En cela, l’asbl les Chemins de Traver-se suit un itinéraire tout à fait o
riginal. Depuis 2005, l’association propose « à des personnes libres après un séjour en prison et à des personnes avec un handicap moteur ou sensoriel de vivre un défi physique et relationnel : randonner avec des joëlettes . » Cette manière de procéder a le double avantage d’aider les personnes libérées à retrouver une certaine fierté et de la dignité, et de permettre à des personnes handicapées de découvrir des horizons d’ordinaire inatteignables pour elles. Un défi impossible à relever sans deux dimensions humaines essentielles : le respect et la confiance.
« Les gars, comme Christine Deltour aime appeler les prisonniers/libérés, osent ré-espérer. Ils osent
croire en un futur pour eux. » Le projet les met en relation avec un entourage structurant, il leur apprend à assumer certaines responsabilités et, surtout, il est mobilisateur pour casser les barrières et se remettre en route et en relation. Ce qui est particulier dans Les Chemins de Traver-se, c’est que l’asbl est avant tout une bande d’amis qui relèvent des défis ensemble. Il n’y a pas de relation d’aide à sens unique, chacun aide les autres à sa façon. C’est précieux pour la dignité et la confiance en soi des personnes libérées.
En amont, lutter contre l’exclusion sociale. En aval, renforce
r les dispositifs d’accompagnement des anciens détenus, notamment les associations de terrain. Mais que peut-on changer à la prison en elle-même pour qu’elle soit un passage vers l’insertion sociale et non vers une marginalisation accrue ?
La prison en tant que telle n’est certainement pas un modèle figé. Pour désengorger les établissements, on peut d’une part renforcer les peines de substitution et, d’autre part, développer les accompagnements thérapeutiques plutôt que répressifs (comme dans le cas des délinquants toxicomanes ou alcooliques, par exemple). Mais l’organisation même de l’institution peut être pensée autrement. Michaël Dantinne, chargé de cours en criminologie à l’université de Liège, préconise de « travailler en parallèle sur la prison comme institution et sur l’emprisonnement comme peine. » Et pourquoi ne pas s’inspirer d’initiatives testées à l’étranger ?
En Espagne, par exemple, un projet-pilote a vu le jour au début des années 90 à Villabona et se poursuit à ce jour. Il réunit au sein d’une unité thérapeutique et éducative (UTE) des « internes » (le terme utilisé pour désigner les prisonniers) intégrés au sein de groupes thérapeutiques d’une quinzaine de personnes, et une équipe multidisciplinaire comprenant gardiens (avec une philosophie de travail complètement repensée et axée sur le relationnel plutôt que sur l’unique surveillance), éducateurs, psychologues, assistants sociaux et enseignants.
L’objectif est que chaque détenu soit soutenu et suivi personnellement dans ses démarches, et ce dans une dynamique collective. Au cours de son séjour en UTE, l’interne entreprend « un travail sur soi qui lui permettra d’entrer dans un processus de changement. Il pourra ainsi abandonner ses conduites délinquantes, découvrir d’autres valeurs, apprendre à avoir des relations positives – y compris avec ses proches et son milieu d’origine –, adopter un style de vie plus sain, croître personnellement grâce au contrôle de soi, l’estime de soi, la sincérité et la responsabilité. Le prisonnier est donc pleinement reconnu comme sujet actif de son propre processus de changement personnel. » Ces Unités thérapeutiques et éducatives ont essaimé dans plusieurs établissements pénitentiaires de la péninsule ibérique, et la formation des agents comprend d’office un stage dans l’une d’elles.
Au Canada, le détenu est accompagné dès les premiers jours de sa détention et un programme est établi avec lui : travail, formation, loisirs (y compris le sport), services à la collectivité .
D’autres initiatives se développent de par le monde, certaines visant à mettre en œuvre une justice réparatrice. Ce processus repose avant tout sur la médiation impliquant la victime et l’auteur d’une infraction, avec le concours de la collectivité. Il s’applique dans plusieurs pays sous des formes diverses et ne peut évidemment fonctionner qu’avec le consentement volontaire des parties.
Un Manuel sur les programmes de justice réparatrice a été publié par les Nations unies. Il conclut que « l’expérience acquise dans le monde a montré que les programmes de justice réparatrice pouvaient largement contribuer à traiter et à réparer le mal causé par la délinquance. Dans le même temps, ils pourront donner aux victimes un puissant moyen d’expression, aux délinquants la possibilité d’assumer la responsabilité de leur comportement et de recevoir l’assistance dont ils ont besoin pour se réinsérer, et aux communautés des moyens plus efficaces non seulement pour combattre la délinquance, mais aussi pour développer et de renforcer leur capacité de prévention et de résolution des conflits. »
D’après les données du Canada, la participation aux programmes de justice réparatrice contribue à humaniser le système et permet de réduire de 12% le risque de récidive.
La société ne peut se prémunir de la délinquance et de la criminalité en n’utilisant que la surveillance, la menace et la sanction. Elle se doit de mettre en place des structures qui favorisent le vivre-ensemble et le bien-être, afin que ce ne soient pas que des mots creux ou de belles valeurs. Cela implique des choix sociaux, économiques et politiques.
Plus spécifiquement, le défi de l’emprisonnement – outre le fait qu’il se justifie ou non – est de protéger la société, pas seulement en enfermant les délinquants, mais aussi en les équipant pour que leur réinsertion soit meilleure que leur insertion. Une personne qui vient de passer des mois, des années, à l’ombre d’un lieu qui n’est que tension, humiliation, confinement, violence, ne pourra en sortir qu’à la manière d’un fauve jaillissant hors de sa cage. Si, par contre, elle est accompagnée de la manière adéquate – qui peut varier selon les cas –, elle aura beaucoup plus de chances de trouver sa place dans le « monde libre ».
Pour améliorer la sortie de prison des libérés, il ne s’agit évidemment pas de relativiser la souffrance des victimes ni de nier les erreurs des fautifs, ou de ne pas infliger de sanction ; il faut davantage accompagner le processus de réinsertion à la fois pendant la période de détention (ce qui inclut, entre autres, la révision d’un système pénitentiaire inadapté) et après la libération, mais aussi agir de manière préventive sur les dérives sociétales qui poussent trop de monde à la faute. Si l’on souhaite réellement agir en amont, il faut questionner de toute urgence le modèle de société et notamment réduire les écarts sociaux et économiques criants.
Renato Pinto
Vivre Ensemble Education
Mai 2012