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4 septembre 2015  Archives des actualités

Toute la misère du monde ?

Une opinion de Renato Pinto, coordinateur régional Hainaut, Vivre Ensemble.

La « crise des migrants » suscite de vifs débats – dans les colonnes des journaux, sur les plateaux de télévision, même dans nos foyers. Sur la vague des interrogations et des peurs que cette thématique engendre, les déclarations tapageuses, aux accents populistes, se multiplient : que l’on songe aux récents propos de Bart De Wever, leader de la principale force politique du pays, ou aux commentaires postés au bas des articles sur les sites de nos quotidiens.
La « problématique » de l’immigration en Europe fait la Une des journaux depuis plusieurs mois, à la suite d’un énième drame en Méditerranée. La réaction des autorités européennes a laissé perplexe plus d’un observateur. Qu’il est aisé de s’en prendre aux passeurs sans scrupules ! Effectivement, on ne peut que dénoncer le profit éhonté de ces trafiquants de chair humaine. On ne peut que souhaiter le démantèlement de leurs réseaux. Mais il ne s’agit que de la part émergée de l’iceberg. Les eaux de la mer Méditerranée cachent d’autres écueils dont l’un, massif, se révèle meurtrier : la politique migratoire européenne, une politique de repli qui a justifié l’expression d’« Europe forteresse », dénoncée par de nombreux organismes de défense de Droits humains.
Ne nions pas une autre évidence : si la question migratoire pose autant de problèmes, c’est avant tout parce qu’elle est liée à celle, plus pernicieuse, plus dangereuse, de la xénophobie. On ne peut donc aborder les interrogations liées aux migrations en faisant l’économie d’un débat sur les relents racistes de la société.
Bien qu’elles fassent partie intégrante de l’histoire humaine, les migrations sont des phénomènes méconnus. Cette méconnaissance alimente les idées reçues, qui débouchent souvent sur des sentiments anti-immigration et expliquent les vives tensions qui entourent tout débat à ce sujet.
L’immigration est souvent perçue comme un problème à gérer, en dépit de ses richesses. La perception se focalise presque exclusivement sur les migrations internationales, alors qu’il y a dans le monde environ 740 millions de migrants qui se sont déplacés à l’intérieur des frontières de leur propre pays.
Dans les débats publics, ce phénomène est inexistant, comme si toute crispation se cristallisait autour du franchissement des frontières entre nations, et du contrôle de ces frontières.
Les migrations contemporaines s’inscrivent aussi dans un cadre global, dont on ne peut ignorer la portée, celui d’un monde inégalitaire, celui d’une planète en souffrance, à cause d’une économie basée sur l’exploitation des ressources productives, la consommation de masse et l’accumulation de richesses entre les mains d’une minorité.
Et puis, il y a ces idées qui courent... Les immigrés seraient des « fainéants »... et des « voleurs de travail » ! Ces deux accusations illustrent bien l’étrangeté des clichés circulant aux sujets des immigrés.
« Moins on connaît l’immigration, plus on en a peur », nous dit à ce sujet François Gemenne, chercheur du FNRS à l’université de Liège. Sans nier les difficultés et les défis générés par les migrations, il est important d’apporter une réponse aux stéréotypes et d’arrêter les idées qui courent, dans un contexte particulièrement incisif ces derniers temps.
Non, nos pays ne reçoivent pas toute la misère du monde ! Prenons le cas de réfugiés : 86% des 59,5 millions de déracinés en 2014 ont été accueillis dans des pays considérés comme économiquement moins développés, dont un quart dans les pays les moins avancés (PMA). Même en tenant compte de Septembre 2015 l’ensemble des migrations internationales, la majorité des flux, ces dernières années, sont des flux entre pays du Sud.
Non, les immigrés ne sont pas un fardeau pour notre économie ! Des études ont démontré un impact limité sur les finances publics et de nombreux avantages dans la dynamique économique. Ce n’est donc pas l’immigration qu’il faut fustiger, mais plutôt les discriminations persistantes, dénoncées notamment dans un document de l’OCDE affirmant que « la discrimination à l’encontre des immigrés et de leurs enfants sur le marché du travail et dans la société dans son ensemble peut avoir des répercussions négatives sur la cohésion sociale et sur les incitations à investir dans l’éducation. »
Des voix,peu écoutées, se font entendre pour plaider en faveur d’une plus grande ouverture des frontières. Irréaliste ? Si l’on a réussi l’absurdité de tracer des frontières invisibles et même d’ériger des murs pour séparer les gens, pourquoi ne pas envisager d’autres moyens de coexister ?
Des arguments tout à fait rationnels plaident en faveur de la libre-circulation des êtres humains. Tout d’abord, il y a l’échec patent des politiques axées sur la répression. Ces dispositifs sont coûteux, inefficaces. En outre, comment fermer les yeux sur les victimes directes ou indirectes de ce manque d’hospitalité ?
L’éthique et la notion de droits fondamentaux doivent aussi entrer en ligne de compte. La mondialisation a facilité la circulation des marchandises et des capitaux, mais les êtres humains, eux, sont arrêtés, au mépris des droits les plus élémentaires, inscrits dans le marbre de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ?
Enfin, même si, à mon sens, l’immigration ne doit pas uniquement être évaluée en termes économiques, la plus-value des migrants serait bien plus grande s’ils n’étaient pas bridés, étouffés, par ces politiques répressives. Comment libérer pleinement son énergie, sa créativité, lorsqu’on est contraint à la clandestinité ou lorsqu’on n’a pas de perspectives d’avenir, faute de documents adéquats ? Comment s’intégrer si l’on n’est pas accueilli, ou du moins mis en condition de pouvoir exercer pleinement sa citoyenneté ?
Souvenons-nous de ce qu’écrivait Stéphane Hessel : « Aux jeunes, je dis : regardez autour de vous, vous y trouverez les thèmes qui justifient votre indignation – le traitement fait aux immigrés, aux sans-papiers, aux Roms. Vous trouverez des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte. »
Il est temps de réveiller nos démocraties !





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