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21 novembre 2022  Archives des actualités

Interview Brigitte Grisar

Il faut assumer la schizophrénie de notre positionnement pour ne pas banaliser la pauvreté

Il n’y a pas, explique Brigitte Grisar, chargée de projets à la Concertation aide alimentaire au sein de la Fédération des services sociaux (FdSS), de contradiction entre soutenir les acteurs du secteur de l’aide alimentaire et remettre le système en cause au politique de faire bouger les choses avant l’explosion sociale. Elle est aussi l’auteure de la conférence gesticulée Faim de vie, présentée par Il n’y a pas, explique Brigitte Grisar, chargée de projets à la Concertation aide alimentaire au sein de la Fédération des services sociaux (FdSS), de contradiction entre soutenir les acteurs du secteur de l’aide alimentaire et remettre le système en cause au politique de faire bouger les choses avant l’explosion sociale. Elle est aussi l’auteure de la conférence gesticulée Faim de vie, présentée par Action Vivre Ensemble lors de sa campagne.

Action Vivre Ensemble : Dans le monde associatif, de nombreuses voix s’élèvent contre la distribution alimentaire, qui est un sparadrap et non une solution systémique. C’est une tension invivable ?
Brigitte Grisar : Nous réunissons les différentes associations du secteur et nous sommes dans une posture de double casquette, que l’on pourrait considérer comme schizophrénique : à la fois, nous soutenons et accompagnons au mieux un secteur pour qu’il travaille dans les meilleures conditions possibles, que l’accueil soit le meilleur et le plus digne possible, et, en même temps, nous dénonçons par notre plaidoyer le fait même que le secteur existe. On doit assumer cette schizophrénie. Parce que les demandes du terrain sont là et que ne pas y répondre serait une catastrophe mais, quand on fait cela, on met juste des pansements sur des situations catastrophiques. Il faut les dénoncer, dire que c’est un scandale. On dénonce le secteur avec les associations elles-mêmes, qui font du bon travail mais qui sont bien conscientes pour la plupart qu’elles mettent du sparadrap. Nous sensibilisons aussi les travailleurs et bénévoles du secteur, qui sont épuisés, à ne pas prendre ces critiques personnellement – ils s’investissement avec enthousiasme – mais que c’est le système qui est en cause. Si nous pensions sauver le monde avec l’aide alimentaire, nous serions tous en burn-out. Ce n’est pas parce l’on dénonce un système que l’on dénonce les gens qui sont dedans puisque nous-mêmes, nous sommes dedans. Si l’on oublie de dénoncer les choses, on va banaliser les choses : qui est encore choqué aujourd’hui que l’on distribue des colis alimentaires ? Il faut pouvoir dire les choses : c’est de l’aide humanitaire d’urgence comme on en fait en Afrique. Et si les gens reviennent, c’est parce qu’ils sont dans une urgence permanente.

AVE : Aujourd’hui, on a le sentiment que cette aide alimentaire, confiée aux associations avec des fonds européens, exonère le politique de prendre des mesures autres que celle de faire fonctionner cette gestion de la misère.
B.G. : La position de la Belgique, qui fait produire ces colis, est même assez rétrograde : certains pays européens ont arrêté les colis alimentaires pour passer aux bons, aux chèques. L’Union européenne donne des enveloppes via le FEAD (Fonds européen d’aide aux plus démunis) mais elle laisse à chaque pays la latitude de ce qu’il en fait, cela ne doit même pas être alimentaire nécessairement. C’est un choix politique de la Belgique de poursuivre ce système des colis depuis plus de 40 ans avec les grands réseaux caritatifs.

AVE : Y a-t-il une volonté politique de faire bouger les choses ?
B.G. : En général, on nous répond que ce n’est pas une question de priorité mais qu’il n’y a pas de moyens suffisants, qu’on travaille avec des enveloppes fermées, qu’on a du mal à voir clair parmi les nombreux intervenants du secteur. Durant le Covid, il y a eu des financements via les CPAS, les banques alimentaires ont été soutenues : les choses ont été mises en place et ont fonctionné. À présent que la crise énergétique a remplacé la crise sanitaire, il faut y revenir.

AVE : Quelles seraient des pistes crédibles de solutions systémiques ? On parle beaucoup de « sécurité sociale de l’alimentation » …
B.G. : Nous participons aux réflexions de la sécurité sociale de l’alimentation mais, clairement, ce n’est pas pour demain. L’idée est que chacun cotise et récupère ensuite 150 euros pour aller les dépenser chez des agriculteurs conventionnés du coin. Aujourd’hui, c’est fou, mais les agriculteurs vont chercher des colis alimentaires ! Cela pose beaucoup de questions même si les deux précarités, celle du producteur et celle du consommateur, se répondent et que cette vision allège les deux précarités. Mais les deux sont victimes du même système néolibéral qui dysfonctionne et ce n’est pas au producteur à baisser ses prix pour vendre ni au consommateur à trouer son portefeuille pour aller chez un producteur local. Mais la première des pistes, c’est simplement de renflouer le portefeuille des gens : augmenter les revenus de base, les allocations sociales qui sont sous le niveau de pauvreté, encadrer les loyers, intervenir dans les factures d’énergie et sur les prix de l’alimentation… Tant qu’on ne travaille pas là-dessus, les mesures seront des mesures sparadrap. Avec toutes les questions qu’elle va poser, la sécurité sociale de l’alimentation sera une mesure sparadrap.

AVE : Les associations se plaignent de recevoir de moins en moins de marchandises des banques alimentaires.
B.G. : Oui, il y a de moins en moins. D’une part, les supermarchés font de plus en plus attention à leur gaspillage alimentaire et il y a moins de production en raison de la crise énergétique. D’autre part, comme il y a de plus en plus de demande, les marchandises partent à une vitesse dingue. Les associations n’arrivent plus à suivre la demande : cela a commencé avant le Covid, c’est à nouveau la crise et cela ne va pas aller en s’améliorant. Nous considérons donc à nouveau être en période de de crise et formulons donc à nouveau nos mêmes demandes qu’à l’époque : 1. Il faut donner des chèques aux gens ; 2. Il faut financer des achats de nourriture par les plateformes logistiques ou les associations. Et nous y ajoutons : 3. Il faut aider les associations à financer leurs charges énergétiques. Quand une association produit 500 repas par jour, achète des aliments et n’a pas encore reçu sa régularisation de gaz, elle craint de ne plus pouvoir travailler ! La Fondation Roi Baudouin a lancé un appel à projets dans ce sens : il a été clôturé avant ce terme vu le nombre exorbitant de demandes !

AVE : On voit désormais la classe moyenne ou les étudiants venir chercher des colis, c’est nouveau ?
B.G. : Cela date du Covid déjà. L’aide alimentaire est destinée à cette précarité qu’on ne voit pas, pas à celle des personnes sans abri. Mais cette précarité invisible est de plus en plus visible. Par un effort miroir incroyable, on a désormais des travailleurs sociaux qui s’adressent eux-mêmes au centre d’appui énergie pour lequel ils travaillent !

lors de sa campagne.

AVE : Dans le monde associatif, de nombreuses voix s’élèvent contre la distribution alimentaire, qui est un sparadrap et non une solution systémique. C’est une tension invivable ?
Brigitte Grisar : Nous réunissons les différentes associations du secteur et nous sommes dans une posture de double casquette, que l’on pourrait considérer comme schizophrénique : à la fois, nous soutenons et accompagnons au mieux un secteur pour qu’il travaille dans les meilleures conditions possibles, que l’accueil soit le meilleur et le plus digne possible, et, en même temps, nous dénonçons par notre plaidoyer le fait même que le secteur existe. On doit assumer cette schizophrénie. Parce que les demandes du terrain sont là et que ne pas y répondre serait une catastrophe mais, quand on fait cela, on met juste des pansements sur des situations catastrophiques. Il faut les dénoncer, dire que c’est un scandale. On dénonce le secteur avec les associations elles-mêmes, qui font du bon travail mais qui sont bien conscientes pour la plupart qu’elles mettent du sparadrap. Nous sensibilisons aussi les travailleurs et bénévoles du secteur, qui sont épuisés, à ne pas prendre ces critiques personnellement – ils s’investissement avec enthousiasme – mais que c’est le système qui est en cause. Si nous pensions sauver le monde avec l’aide alimentaire, nous serions tous en burn-out. Ce n’est pas parce l’on dénonce un système que l’on dénonce les gens qui sont dedans puisque nous-mêmes, nous sommes dedans. Si l’on oublie de dénoncer les choses, on va banaliser les choses : qui est encore choqué aujourd’hui que l’on distribue des colis alimentaires ? Il faut pouvoir dire les choses : c’est de l’aide humanitaire d’urgence comme on en fait en Afrique. Et si les gens reviennent, c’est parce qu’ils sont dans une urgence permanente.

AVE : Aujourd’hui, on a le sentiment que cette aide alimentaire, confiée aux associations avec des fonds européens, exonère le politique de prendre des mesures autres que celle de faire fonctionner cette gestion de la misère.
B.G. : La position de la Belgique, qui fait produire ces colis, est même assez rétrograde : certains pays européens ont arrêté les colis alimentaires pour passer aux bons, aux chèques. L’Union européenne donne des enveloppes via le FEAD (Fonds européen d’aide aux plus démunis) mais elle laisse à chaque pays la latitude de ce qu’il en fait, cela ne doit même pas être alimentaire nécessairement. C’est un choix politique de la Belgique de poursuivre ce système des colis depuis plus de 40 ans avec les grands réseaux caritatifs.

AVE : Y a-t-il une volonté politique de faire bouger les choses ?
B.G. : En général, on nous répond que ce n’est pas une question de priorité mais qu’il n’y a pas de moyens suffisants, qu’on travaille avec des enveloppes fermées, qu’on a du mal à voir clair parmi les nombreux intervenants du secteur. Durant le Covid, il y a eu des financements via les CPAS, les banques alimentaires ont été soutenues : les choses ont été mises en place et ont fonctionné. À présent que la crise énergétique a remplacé la crise sanitaire, il faut y revenir.

AVE : Quelles seraient des pistes crédibles de solutions systémiques ? On parle beaucoup de « sécurité sociale de l’alimentation » …
B.G. : Nous participons aux réflexions de la sécurité sociale de l’alimentation mais, clairement, ce n’est pas pour demain. L’idée est que chacun cotise et récupère ensuite 150 euros pour aller les dépenser chez des agriculteurs conventionnés du coin. Aujourd’hui, c’est fou, mais les agriculteurs vont chercher des colis alimentaires ! Cela pose beaucoup de questions même si les deux précarités, celle du producteur et celle du consommateur, se répondent et que cette vision allège les deux précarités. Mais les deux sont victimes du même système néolibéral qui dysfonctionne et ce n’est pas au producteur à baisser ses prix pour vendre ni au consommateur à trouer son portefeuille pour aller chez un producteur local. Mais la première des pistes, c’est simplement de renflouer le portefeuille des gens : augmenter les revenus de base, les allocations sociales qui sont sous le niveau de pauvreté, encadrer les loyers, intervenir dans les factures d’énergie et sur les prix de l’alimentation… Tant qu’on ne travaille pas là-dessus, les mesures seront des mesures sparadrap. Avec toutes les questions qu’elle va poser, la sécurité sociale de l’alimentation sera une mesure sparadrap.

AVE : Les associations se plaignent de recevoir de moins en moins de marchandises des banques alimentaires.
B.G. : Oui, il y a de moins en moins. D’une part, les supermarchés font de plus en plus attention à leur gaspillage alimentaire et il y a moins de production en raison de la crise énergétique. D’autre part, comme il y a de plus en plus de demande, les marchandises partent à une vitesse dingue. Les associations n’arrivent plus à suivre la demande : cela a commencé avant le Covid, c’est à nouveau la crise et cela ne va pas aller en s’améliorant. Nous considérons donc à nouveau être en période de de crise et formulons donc à nouveau nos mêmes demandes qu’à l’époque : 1. Il faut donner des chèques aux gens ; 2. Il faut financer des achats de nourriture par les plateformes logistiques ou les associations. Et nous y ajoutons : 3. Il faut aider les associations à financer leurs charges énergétiques. Quand une association produit 500 repas par jour, achète des aliments et n’a pas encore reçu sa régularisation de gaz, elle craint de ne plus pouvoir travailler ! La Fondation Roi Baudouin a lancé un appel à projets dans ce sens : il a été clôturé avant ce terme vu le nombre exorbitant de demandes !

AVE : On voit désormais la classe moyenne ou les étudiants venir chercher des colis, c’est nouveau ?
B.G. : Cela date du Covid déjà. L’aide alimentaire est destinée à cette précarité qu’on ne voit pas, pas à celle des personnes sans abri. Mais cette précarité invisible est de plus en plus visible. Par un effort miroir incroyable, on a désormais des travailleurs sociaux qui s’adressent eux-mêmes au centre d’appui énergie pour lequel ils travaillent !





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