Janvier 2015. Tous ceux qui se disent « Charlie » le sont-ils vraiment ? Citoyens, journalistes, politiques… une odeur d’hypocrisie se dégage d’une partie de ce mouvement qui se veut unanime. Notre société ne peut faire l’économie de la lucidité sur les racines de l’intégrisme et sur les conditions d’un vrai vivre-ensemble, aujourd’hui, demain, en Occident comme ailleurs.
Comme l’équipe du Charlie Hebdo et comme des centaines de milliers de personnes partout en Europe et dans le monde, Vivre Ensemble milite pour la liberté d’expression et les droits de l’homme et de la femme. Comme eux, l’association de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale dénonce la publicité, la croissance à tout prix et la société de consommation. Comme eux, elle combat les dogmes et les semeurs de haine et se bat pour la vie et pour le vivre-ensemble. Le nom de cette association, choisi il y a plus de 40 ans, n’a pas pris une ride.
Pourtant, la liberté d’expression, qui semble être un vœu unanimement partagé, une valeur non négociable qui fait descendre aujourd’hui des millions de personnes dans la rue, n’est pas aussi réelle qu’on veut bien le croire. Quant à « ces valeurs européennes » que l’on mobilise dans les discours, pour qui sont-elles encore évidentes ?
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Depuis le 7 janvier, nous sommes aussi en colère face au bal des ignorants et des hypocrites. Que les gens soient choqués, c’est bien normal. C’est même sain ! Il faut se réjouir de la réaction populaire. Mais comment ne pas être mal à l’aise en voyant sur les réseaux sociaux tant de gens qui sont Charlie aujourd’hui, alors qu’hier ils distillaient à dose homéopathique les messages de rejet de l’autre et de stigmatisation ? Ils recommenceront demain, sans grande méchanceté. Ce ne sont pas des racistes, ce sont des « je ne suis pas raciste mais… ». Leur ignorance tue. Aujourd’hui, ils pleurent.
En évoquant les journalistes de Charlie Hebdo, nous saluons aussi tous leurs collègues qui, à travers le monde, risquent leur vie parce qu’ils ne veulent se soumettre à aucune pression, à aucune injonction liberticide. Mais comment ne pas être dégoûté quand tant de journalistes se disent Charlie et parlent de liberté d’expression alors que leurs journaux et leurs émissions sont vendus aux capitaux ? Leur pseudo-liberté d’expression est encadrée par les publicités et conditionnée par les exigences du marché. Comme hier, demain, trop de journalistes n’hésiteront pas à stigmatiser l’autre dans de gros titres accrocheurs pour vendre plus de numéros.
Comment ne pas avoir la nausée quand on nous parle des valeurs européennes ? Mais quelles sont-elles, ces prétendues valeurs ? Est-ce la compétitivité, l’austérité, ou le néolibéralisme qui brise tant de vies ici et ailleurs au nom de la sacro-sainte croissance économique ? Est-ce le productivisme, la société de consommation et ce gavage matérialiste grotesque auquel on nous conditionne dès l’enfance ? Est-ce cette pseudo-démocratie technocratique qui, quel que soit notre vote, nous martèle sans cesse qu’il n’y a pas d’alternative à la dilution de nos progrès sociaux ? Est-ce cette insupportable injustice sociale qui permet que, dans des pays aussi riches que les nôtres, certains dorment dans la rue ou dans des banlieues misérables tandis que d’autres s’achètent des jets privés sans payer d’impôt ? Est-ce la discrimination, la peur au nom de laquelle on grignote nos droits, nos systèmes carcéraux coûteux, inefficaces et où la dignité humaine est bafouée chaque jour, ou Frontex, gendarme des chemins de ronde de la forteresse d’opulence qu’est devenue l’Europe ?
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