À Bruxelles, une trentaine de bénévoles battent le pavé trois fois par semaine avec le motorhome de Rolling Douche pour permettre aux sans-abris de se laver gratuitement et se changer à l’abri des regards et dans des conditions qui leur rendent leur dignité. Un très beau projet soutenu par Vivre Ensemble et accueilli avec enthousiasme par des « clients » fidèles.
« C’est superbe, magnifique. Merci, merci ! » En sortant du motorhome de l’association Rolling Douche stationné entre la Gare centrale et le Mont des Arts en ce mercredi après-midi bruineux de septembre, Sergiu n’est pas avare d’éloges ni de remerciements vis-à-vis des bénévoles de l’asbl. Demain, ce sympathique professeur d’éducation physique originaire de Moldavie et naturalisé portugais a rendez-vous pour décrocher un job sur des chantiers de construction. Bien que sans-abri, il s’y présentera douché, rasé de près et habillé comme vous et moi. Il montre son pull, sa chemise, ses chaussures, impeccables et donnés par l’association. Un des petits plus du service de Rolling Douche. « Mon plus grand plaisir, glisse Luc Le Roy, bénévole et fonctionnaire retraité de la Sécurité sociale, c’est ça : la satisfaction immédiate des gens qui viennent nous voir ! Au départ, moi, j’étais un peu là égoïstement pour ne pas rester enfermé chez moi mais, là, c’est bien mieux que cela : on voit des gens contents, souriants, qui nous disent : C’est bien que vous soyez là. »
Trois permanences par semaine
Depuis le 2 janvier 2017, le projet Rolling Douche s’est transformé en une réalité. Grâce à une somme de bonnes volontés, l’équipe a d’abord pu acheter un motorhome d’occasion (un Fiat de 2002, 18.000 euros, 100.000 km au compteur) et l’aménager : il contient une douche et une toilette séparée, une petite pièce privative pour s’habiller et une chaudière afin de pouvoir distribuer de l’eau chaude quatre heures durant.
Roger et Luc s’occupent de remplir régulièrement les citernes d’eau prélevée sur place à même le circuit d’eau de ville. « Encore une belle surprise, se souvient Pascal Biesemans : au début de nos sorties, La Libre Belgique était venue faire un reportage et je leur avais dit qu’on se branchait sur l’eau de ville mais qu’au contraire des pompiers, on devait la payer. Hydrobru nous a directement téléphoné pour offrir 40.000 litres d’eau par an, ce qui correspond à nos besoins actuels ! »
Après un peu moins de deux ans, l’équipe a réalisé 230 sorties, ce qui équivaut à 2000 douches, à raison d’une quarantaine par semaine. Parfois, c’est la grande foule (au Midi, en général), parfois moins (à Flagey). Le public est très divers, essentiellement des Belges, des Nord-Africains, des Roumains et des Polonais.
En général, cela se passe plutôt bien, même si beaucoup sont alcoolisés, parfois drogués, parfois présentent des problèmes de santé mentale. Chacun a son histoire : « nous avons des habitués, qui viennent trois fois dans la semaine, d’autres que l’on voit non-stop durant deux mois, puis plus du tout mais nous travaillons en réseau et on se tient donc au courant. »
« Satisfaction », chantaient les Rolling Stones ; « satisfaction », chanterait bien également Pascal Biesemans, le directeur de Rolling Douche, qui a bouclé le projet en quelques mois à peine. « Cette idée est née complètement par hasard, se souvient ce travailleur social qui a longtemps travaillé dans un restaurant social. C’est la fille d’un ami chez qui j’étais allé boire un verre qui m’a parlé du service mobile d’hygiène existant à Paris sous le nom de Mobil’Douche. Ce soir-là, on s’est dit : Allez, on le fait. Nous étions en février 2016. J’ai accompagné Mobil’Douche en maraude à travers Paris et c’était vraiment exactement cela que nous voulions faire. La différence avec nous, c’est qu’eux vont chercher les sans-abris sous leur carton. Nous avons fait ça au début, notamment au parc Maximilien, où des dizaines de personnes nous attendaient ; en termes d’organisation, c’est plus simple de se fixer en certains lieux. Il y a vraiment peu d’endroits à Bruxelles, où ce service est offert. Certains font payer les douches et, aux bains publics, on n’aime plus trop ce type de visiteurs. »
Aujourd’hui, Rolling Douche, c’est donc trois après-midi complètes (14h-18h), en trois lieux différents de la capitale : place Flagey (Ixelles) le lundi, la Gare centrale (Bruxelles) le mercredi, la gare du Midi (Saint-Gilles) le vendredi. On y croise Sergiu, Jean-Claude, Gustavo ou « Texas ». Pascal ne connaît souvent que leur prénom, voire un surnom. Ce n’est pas une question de désintérêt, au contraire, pour lui, « la création de lien social est aussi importante que répondre à des besoins primaires, mais je ne suis pas flic, je n’ai pas besoin de voir les papiers des gens, de savoir s’ils sont en règle, de voir d’où ils viennent. »
Des vêtements propres
Sur le trottoir couvert de la rue des Sols, chacun attend tranquillement son tour, « même si certains croient parfois que notre présence attire les sans-abris alors qu’ils sont là mais invisibles. » Colette et Martine distribuent café, thé ou soupe aux sans-abris qui, parfois, passent l’après-midi à discuter. D’autres prennent la précaution de « réserver » leur douche le matin par téléphone ou SMS. Le fameux « lien social » cher à Pascal Biesemans… D’autant que, même si c’est déjà beaucoup pour ses « clients », réguliers ou moins, le service offert va au-delà d’une douche : des kits pour se raser, se laver les dents et même plus spécialement destinés à l’hygiène féminine (les femmes représentent 10 % des sans-abris accueillis) mais aussi, pour tous ceux qui prennent une douche dans le motorhome, des vêtements propres collectés généralement par l’association via Facebook. « Nous avons aussi acheté un millier de slips à la Croix-Rouge. Nous estimons qu’un caleçon, des chaussettes et un t-shirt propres, c’est le minimum mais, dans la mesure du possible, nous essayons de leur donner régulièrement tout le reste aussi. »
Par ailleurs, place Flagey et devant la gare du Midi, la permanence de Rolling Douche se double de celle de l’asbl Bulle qui propose, dans une camionnette également, deux machines à laver et deux séchoirs pour laver le linge des sans-abris, là aussi tout à fait gratuitement. Aujourd’hui, Pascal Biesemans aimerait acquérir un deuxième véhicule pour répondre aux nouvelles demandes (celle de Forest, par exemple) et obtenir la subvention d’un deuxième temps plein. Car la demande est là. C’est en effet une triste réalité : pour quelque 4.000 sans-abris à Bruxelles, il n’existe que quelques cabines de douche fixes et une seule mobile et gratuite, celle de Rolling Douche.
50 €, c’est déjà beaucoup
Avec un don de 50 euros, Rolling Douche peut proposer un après-midi de service douche aux sans-abris (environ 12 douches en 4 heures), y compris la distribution de vêtements, du nécessaire pour se raser ou se laver les dents, du café, du thé, de la soupe, des sandwiches, de la tarte. Et surtout, ce qui n’a pas de prix, des discussions, de l’amitié, autant pour les sans-abris que… pour les bénévoles qui les accompagnent.